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La conférence de presse

C’est sous l’impulsion du général de Gaulle que les conférences de presse deviennent un grand rituel télévisé, avec son protocole, son décorum et ses acteurs. Au cours de cette longue cérémonie, qui se déroule le plus souvent dans la salle des Fêtes de l’Élysée, le président, seul sur scène (assis à un bureau ou penché sur un pupitre), fait face à son auditoire et aux caméras. Dans la fosse, aux côtés du chef de l’État, les ministres s’affichent, supporteurs attentifs de la politique présidentielle.

Dans le public, on trouve les centaines de journalistes conviés à participer à cette cérémonie médiatique dont le scénario est soigneusement formalisé. Pour le président, qui les reçoit dans le lieu le plus symbolique du pouvoir de la République, il s’agit d’utiliser cette presse comme d’un relais : en effet, ces conférences, de portée nationale et internationale, permettent au chef de l’État d’expliquer la position officielle sur tel point diplomatique ou de préciser, à destination des Français, le bien-fondé de quelques mesures envisagées. Au sein de ce théâtre politique, retransmis en intégralité par la télévision, le président cherche ainsi à dominer, mais aussi à séduire cet auditoire pour lequel il nourrit souvent une très grande méfiance, et parfois même un certain mépris.

Charles de GAULLE

Conférence de presse du président de Gaulle (extrait)

Le 21 février 1966, le général de Gaulle tient une conférence de presse où un journaliste l’interroge sur une affaire qui secoue alors l’actualité : l’enlèvement du Marocain Ben Barka.
Date : 21 février 1966
"La presse est contre moi, la télévision est à moi" avait dit le général de Gaulle à son ministre de l’Information. S’il ne porte pas les journalistes dans son cœur, c’est pourtant lui qui instaure durablement la tradition des conférences. Dès son retour au pouvoir, il en fait un usage intensif, conviant la presse en moyenne deux fois par an.
Pour préparer ces conférences, qui sont des performances à la fois physiques et intellectuelles, il s’informe des principales questions et en suggère quelques-unes pour s’assurer qu’elles soient posées. Il débute toujours par une courte allocution dite sur un ton solennel puis, sans jamais lire de notes, il répond longuement aux questions des journalistes. Son public est attentif et souvent docile ; de Gaulle sait manier les mots, mais aussi l’humour qu’il emploie pour désamorcer les questions trop sensibles, par exemple lorsqu’on l’interroge sur sa santé ("Je ne vais pas mal, mais rassurez-vous, un jour, je ne manquerai pas de mourir"), déclenchant l’hilarité d’une salle déjà conquise. C’est également par une "petite phrase" que le général répond au journaliste qui l’interroge sur l’affaire Ben Barka, avant de développer une explication plus consistante, puis de s’en prendre durement aux journalistes.

Georges POMPIDOU

Conférence de presse du président Pompidou

En cette année 1970, l’ORTF connaît des crises (grèves, démissions, etc.) liées à son statut de média d’État. Le 2 juillet, un journaliste de Combat interroge "le premier téléspectateur de France". Le président Pompidou évoque alors le rôle des journalistes de la télévision d’État.
Date : 2 juillet 1970
Le président Pompidou devient vite un adepte du rituel médiatique qu’il ne respecte pas exactement à la lettre  : seuls le Premier ministre et le ministre de l’Information siègent désormais au pied de la scène (et non le gouvernement tout entier) ; on a aussi remplacé le rideau jaunâtre de l’arrière-plan pour une lourde toile bleue qu’on ressortira ponctuellement jusqu’à Mitterrand. Pompidou donne ainsi neuf conférences de presse en moins de quatre ans. Si ce président n’est pas un orateur de tribune, il sait néanmoins faire preuve d’autorité, d’épaisseur et semble prendre un certain plaisir à l’exercice.
Pour lui, il s’agit d’informer les journalistes, mais aussi de s’informer lui-même : "Vous êtes une sorte de thermomètre de l’opinion, vous ressentez l’importance des questions que cette opinion se pose" déclara-t-il en juillet 1969. L’année suivante, on l’interroge sur le malaise qui règne à l’ORTF qui - encore sous contrôle du gouvernement - est secoué par des conflits et des grèves. En réponse, le président Pompidou évoque sa conception particulière de la presse audiovisuelle dont les journalistes ont la responsabilité de porter "la voix de la France" (c’est une expression du général de Gaulle, mais il ne l’a jamais prononcée en public).

Valéry GISCARD D’ESTAING

Giscard d’Estaing - président qui souhaite dépoussiérer les rituels présidentiels - n’organise plus des conférences, mais des "réunions de presse" où aucun ministre ne trône à ses côtés. Pour sa première prestation de l’été 1974, il introduit une nouveauté éphémère : c’est debout qu’il fait face aux journalistes, placé derrière un pupitre suffisamment large pour qu’on y pose des fleurs. Le dispositif est abandonné dès sa deuxième conférence, mais le bouquet tricolore perdurera (ainsi qu’une pendule occasionnellement). Giscard d’Estaing tente de renouveler le genre, mais l’exercice demeure néanmoins contraint et il n’en a pas fait un usage intensif (il réunit les journalistes à l’Élysée moins d’une fois par an).

François MITTERRAND

Mitterrand adopte la "stratégie de la rareté" : en quatorze ans, il ne tiendra que 9 conférences de presse à l’Élysée. S’il respecte parfaitement les décors et les codes lors de ses deux premières conférences (1981 et 1982), il tente ensuite de modifier ponctuellement quelques éléments ici ou là : le pupitre est tenté en 1984, le rideau rouge en 1985, et en 1989, les drapeaux français et européen font leur apparition (un décor qui sera repris par tous ses successeurs). Néanmoins, c’est sous Mitterrand que les ministres font leur grand retour dans cet espace médiatique.

Jacques CHIRAC

Si on ne garde pas en mémoire d’images marquantes des prestations chiraquiennes, c’est que l’exercice lui déplaît ; ainsi, en douze années de présidence, il n’a donné que quatre conférences à l’Élysée, toutes sans la présence de son gouvernement. Pour sa première prestation du 13 juin 1995, Chirac a convié les journalistes accrédités par l’Élysée (ceux chargés de suivre quotidiennement le président). Ainsi, seule une cinquantaine seulement est présente, et c’est dans le petit salon Napoléon III - dont on a masqué les dorures par de grands panneaux neutres - que se tient cette réunion. À l’image, seuls se détachent le président à son pupitre et les drapeaux français et européens. On ne saurait faire plus cadre plus sobre pour que le président annonce une décision politique de premier plan et qui suscite beaucoup de réactions : la reprise des essais nucléaires.

Nicolas SARKOZY

Conférence de presse du président Sarkozy

Ce 8 janvier 2008, le journaliste Laurent Joffrin pose une question sur la manière de gouverner du nouveau président. Le chef de l’État cherche alors à ridiculiser l’impertinent journaliste, feignant de croire qu’il l’interrogeait sur sa façon d’être arrivé au pouvoir, et non sur celle de l’exercer.
Date : 8 janvier 2008
Pendant la campagne électorale de 2007, Nicolas Sarkozy promet de rassembler la presse deux à trois fois par an pour répondre de sa politique. Finalement, le genre ne lui convient pas et il se contente de tenir trois conférences à l’Élysée seulement, privilégiant d’autres types de communication télévisuelle. Pour ces exercices médiatiques, il reste debout et on place derrière lui un large panneau bleu qui masque toute trace des ors de la République, conférant au décor la tonalité de ses campagnes politiques. À sa gauche, les ministres sont de retour pour prouver leur soutien à la politique présidentielle.
Sa première conférence du 8 janvier 2008 est la plus marquante et elle annonce le début de la détérioration de la relation entre le président et les journalistes. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy répond à une question sur sa vie privée. Après avoir objecté qu’on n’aurait jamais interrogé de cette manière ses prédécesseurs au cours d’une conférence, il se livre néanmoins à quelques confidences personnelles qui resteront dans les mémoires (avec Carla, "c’est du sérieux"). C’est également à cette conférence que Laurent Joffrin lui demande s’il n’a pas instauré une forme de monarchie élective : répliquant avec sarcasme, le président se moque cruellement du journaliste, provoquant les rires hilares d’une partie de la salle.

François HOLLANDE

Derrière le décor : la conférence de presse du président Hollande

Pour son film "Un temps de président", Yves Jeuland a filmé les coulisses de la présidence de la République et notamment celui de la conférence de presse. Dans cette séquence, les images tournées par le réalisateur ce 5 février 2015 tranchent du côté spectaculaire de celles diffusées en direct à la télévision.
Date : 5 février 2015
Extraits du film "Un temps de président" d’Yves Jeuland (2015)
Durant sa campagne électorale, François Hollande promettait lui aussi de réunir les journalistes tous les six mois, mais sans les faire venir au palais de l’Élysée. Devenu président, il tient parole sur le premier point. Pour lui, le rituel reste le même que pour son prédécesseur, mais le dispositif technique est néanmoins modernisé. Par exemple, la mise en scène de son arrivée "à l’américaine" en 2013 est très travaillée et s’inspire de ses homologues étrangers : grâce à une grue télescopique qui monte, recule et dézoome, on filme l’arrivée du président Hollande dans la salle des Fêtes et l’effet est spectaculaire. La disposition de la salle a été inversée pour permettre une arrivée en solitaire face caméra. À l’arrière-plan, ce n’est plus le traditionnel rideau, mais un trompe-l’œil d’une fenêtre donnant sur un jardin qui n’existe pas à cet endroit. S’il modernise le contenant, il revient néanmoins aux bases du contenu : lorsqu’on l’interroge sur sa vie personnelle (comme c’est le cas en septembre 2014 pour sa 5e conférence), il refuse de répondre en invoquant le "respect de la fonction présidentielle".

Nos 7 présidents ont donc tous employé cet outil de communication qu’est la conférence de presse élyséenne, l’inscrivant durablement dans nos traditions politiques. Pour chacun d’eux, ce face à face entre le chef de l’État et des centaines de journalistes, qui se déroule dans le premier palais de la République, est une manière d’imposer sa hauteur face à cette presse dont ils se méfient souvent. C’est là aussi qu’ils peuvent le mieux utiliser l’humour pour désamorcer les situations difficiles ou bien prononcer la "petite phrase" qui marquera l’histoire. C’est un exercice où ne s’exerce aucun filtre médiatique immédiat, car le spectacle est systématiquement retransmis en intégralité sur les grandes chaînes de télévision. Ce n’est qu’ensuite que la presse écrite ou audiovisuelle peut commenter et critiquer la représentation du jour.