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L’allocution

L’allocution télévisée est l’un des outils de communication que le chef de l’État maîtrise le plus complètement : c’est lui qui décide du contenu, du décor, de la durée, de la date et de l’heure de diffusion. Aucun journaliste ne peut le contredire dans ce face à face avec les Français, réalisé les "yeux dans les yeux". Ces allocutions sont diffusées dans leur intégralité (très rarement en direct), puis elles sont reprises et commentées au cours des éditions des journaux télévisés.

Pour le président, c’est souvent un exercice délicat, surtout lorsque la situation politique est difficile : il faut savoir s’exprimer et être convaincant, avec pour seul public une caméra, deux ou trois collaborateurs et quelques techniciens. Ce solo télévisé - presque immanquablement enregistré à l’Élysée - diffère des simples discours réalisés à l’extérieur qui n’ont pas la même gravité ni les mêmes incidences. Ces adresses à la Nation portent généralement sur un seul sujet (ce qui souligne leur importance), qu’il s’agisse d’une décision politique majeure, d’une crise ou d’un hommage. Elles visent toutes le même objectif : rassembler les Français derrière l’action du chef de l’État. C’est aussi l’outil adéquat lors des moments dramatiques.

Charles de GAULLE

Allocution du président de Gaulle

Après le putsch des généraux en Algérie, et alors que la rumeur dit que des parachutistes vont être largués sur Paris, le président de Gaulle revêt son uniforme de général pour fermement condamner la sédition et lancer un appel à l’aide aux Français.
Date : 23 avril 1961
Devenu président en 1959, il hérite d’une télévision d’État naissante qu’il transforme en un puissant moyen de communication politique et développe un outil majeur : l’allocution télévisée. Le président de Gaulle réalise, en moins de 11 ans, 49 allocutions, dont une grande partie est réalisée durant la Guerre d’Algérie (c’est-à-dire jusqu’en 1962) et peu avant l’élection présidentielle de 1965. "Je les écris avec soin", explique le général de Gaulle (comme si on pouvait croire à une improvisation). C’est un véritable travail de communication, comme il le raconte dans ses Mémoires : "pour ce septuagénaire, assis seul, derrière une table sous d’implacables lumières, il s’agit qu’il paraisse assez animé et spontané pour saisir et retenir toute l’attention, sans se commettre en gestes excessifs et en mimiques déplacées". Pour lui, on a installé une lumière rouge qu’il fixe sur la caméra, donnant aux Français l’impression qu’il les regarde lorsqu’il récite son texte appris par cœur.
L’une des plus importantes allocutions est celle du 23 avril 1961. À cette époque, les Français devinent déjà que l’Algérie sera bientôt indépendante. Ce jour-là, des généraux tentent un coup d’État à Alger, et peut-être aussi à Paris. La panique s’empare de la population. Le général de Gaulle - qui vient de prendre les pouvoirs spéciaux prévus par l’article 16 de la Constitution - parle à 20 heures. Partout dans la capitale, la vie s’arrête alors. Pour écouter le chef de l’État, les passants se regroupent dans les cafés, autour des voitures équipées d’un autoradio ou devant les vitrines des magasins de radio et de télévision. De Gaulle a exceptionnellement revêtu son uniforme de général : c’est le chef des Armées qui parle, c’est aussi l’homme du 18 juin qui rappelle aux Français sa compétence dans ce genre de situation. Sur un ton autoritaire, il s’adresse aux putschistes, puis aux militaires et aux civils à qui il donne l’ordre formel de demeurer dans l’obéissance. Cette intervention permet de rétablir rapidement le calme, à la fois dans la métropole et auprès du contingent basé en Algérie, facilitant ainsi la résolution du problème.

Georges POMPIDOU

Derrière le décor : l’allocution du président Pompidou

Pendant la première année de son mandat, le président Pompidou s’est laissé filmer pour un film documentaire diffusé le lendemain du jour anniversaire de son investiture. Une séquence nous dévoile les coulisses de l’enregistrement de l’allocution télévisée du 15 décembre 1969.
Date : 21 avril 1970
Adresse : "Élysée" - Hubert Knapp & Pierre Desgraupes
Georges Pompidou prononce une dizaine d’allocutions télévisées en moins de 5 ans, mais il n’utilise pas cet outil en contexte de danger immédiat (une situation qu’il ne rencontre pas au cours de son mandat). Ces allocutions lui servent à présenter son action politique, comme c’est le cas le 15 décembre 1969 où il présente, six mois après son élection, le "programme" à venir. Autre exemple : en 1972, il réalise 2 allocutions où il enjoint les Français à voter "oui" au référendum d’avril sur l’élargissement de la Communauté Européenne. Pour lui, cet exercice médiatique est le plus difficile, comme il l’avoue à Pierre Desgraupes en 1970.

Valéry GISCARD D’ESTAING

"Causerie au coin du feu" du président Giscard d’Estaing

Ce 23 mars 1975, c’est au coin du feu et à l’aide de panneaux chiffrés que le président Giscard d’Estaing explique aux Français l’importance de la Force de frappe française.
Date : 23 mars 1975
Giscard pratique l’exercice plus assidûment que son prédécesseur et comptabilise 27 allocutions télévisées en 7 années. Il fait ainsi connaître sa politique et la justifie, mais il s’agit aussi de nouer un contact régulier avec les Français. Il n’utilisera l’allocution qu’une fois en cas d’urgence, le 8 octobre 1980, quelques jours après l’attentat de la rue Copernic à Paris. Mais si Giscard prend la parole ce jour-là, c’est aussi qu’il faut faire taire une polémique : le président n’a pas daigné se rendre sur les lieux du drame… On trouve dans sa panoplie des originalités toutes giscardiennes, comme les quelques causeries au coin du feu, où le président, assis près d’un foyer parfois éteint, explique longuement à l’aide de grands tableaux vers lesquels il se déplace, tel ou tel aspect de la situation française.

François MITTERRAND

Allocution du président Mitterrand

Le 16 janvier 1991 marque la fin de l’ultimatum adressé à Saddam Hussein pour qu’il évacue le Koweït, envahi en août 1990. Sans réponse de la part de l’Irak, le président Mitterrand décide d’entrer en guerre et l’annonce aux Français le jour même.
Date : 16 janvier 1991
Mitterrand utilise l’allocution avec une très grande modération : en deux septennats, on compte moins de 25 interventions, et hormis les vœux de fin d’année, il ne s’exprime jamais de cette façon durant la première cohabitation, le faisant pourtant deux fois pendant la seconde.
L’une de ses interventions les plus marquantes est celle du 16 janvier 1991, lorsqu’il annonce aux Français que le pays entre en guerre contre l’Irak (qui avait envahi le Koweït à l’été 1990). C’est la Première guerre du Golfe qui oppose Saddam Hussein à 34 états réunis sous l’égide de l’ONU. Pour parler aux Français, qui se préparent à cette éventualité depuis déjà quelques mois, le président Mitterrand endosse son rôle de chef de guerre : "les armes vont parler".

Jacques CHIRAC

Allocution du président Chirac

Le jour du décès de François Mitterrand, le 8 janvier 1996, le président Chirac prononce une allocution qui rend brillamment hommage au chef de l’État défunt.
Date : 8 janvier 1996
Si Jacques Chirac utilise l’allocution avec parcimonie au début de son premier mandat, le président prend peu à peu goût à l’outil pour le transformer en un rendez-vous régulier avec les Français. C’est lui qui détient, et pour longtemps sans doute, le record du nombre d’allocutions télévisées avec plus d’une cinquantaine à son actif (en 12 années). C’est sous sa présidence que le traditionnel air de musique classique qui habille le générique des allocutions disparaît, modernisant un peu la séquence médiatique.
C’est un moyen pour le président Chirac de faire des annonces, comme c’est le cas le 21 avril 1997, lorsqu’il explique aux Français - "au risque de (les) surprendre" - sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale. Et l’une de ses plus remarquables allocutions fut prononcée quelques mois seulement après son élection, lors du décès de François Mitterrand. L’intervention fut saluée par les commentateurs de l’époque comme le premier acte présidentiel du nouveau chef de l’État.

Nicolas SARKOZY

Nicolas Sarkozy n’est pas un président adepte de l’allocution télévisée, préférant les discours en situation, les entretiens avec des journalistes et les conférences à deux voix, en compagnie d’un chef d’État étranger. Il ne prononce que 8 allocutions durant les 5 années de son mandat, en comptant les 5 vœux pour la nouvelle année. Il faut ajouter qu’au cours de ces années 2000, les façons de diffuser la parole présidentielle se sont multipliées. Ainsi, l’exercice de l’allocution se raréfie de plus en plus.

François HOLLANDE

Derrière le décor : Allocution de François Hollande

Le 7 janvier 2015, la situation est dramatique : 12 personnes sont tuées et les auteurs des crimes ne sont pas encore arrêtés. C’est dans ce contexte que le président prend la parole. Dans son film "Un temps de président", le documentariste Yves Jeuland nous offre à voir les coulisses de cette allocution réalisée en situation de crise.
Date : 16 janvier 1991
Extraits du film "Un temps de président" d’Yves Jeuland (2015)
Notre septième président semble user de l’allocution plus volontiers que son prédécesseur. Il emploie cet outil pour gérer une crise pour la première fois le 3 avril 2013 (il avait déclaré : "J’ai appris hier avec stupéfaction et colère les aveux de Jérôme Cahuzac devant ses juges. Il a trompé les plus hautes autorités du pays, le chef de l’État, le gouvernement, le Parlement et à travers lui tous les Français"). C’est encore par ce moyen qu’il s’adresse aux Français après les attentats du 7 janvier 2015, une prestation diffusée le soir et préparée dans la hâte des événements. Dans l’extrait que nous diffusions, on remarque l’impératif médiatique qui oblige le président à rejouer la scène pour les photographes.

L’allocution est donc l’un des outils majeurs mis à disposition du président pour qu’il s’adresse directement à la Nation. Sans filtre, cette déclaration est diffusée en intégralité sur plusieurs chaînes de télévision, pour être ensuite commentée par les politiques et décortiquée par les journalistes. Dans les journaux télévisés, seuls des extraits - dont la durée ne cesse de décroître au fil des années - sont diffusés. Ce mode de communication télévisuel est aujourd’hui concurrencé par d’autres médias. Il reste néanmoins un attribut important du pouvoir présidentiel et c’est le seul exercice audiovisuel où le chef de l’État s’adresse directement à l’ensemble des Français.