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La commémoration

Férus de leur longue histoire, les Français affectionnent les commémorations. Et lorsque le président de la République y participe, sa présence confère à l’événement une importance particulière. Prenons l’exemple des cérémonies liées à la 2sd Guerre mondiale où les occasions de commémorer ne manquent pas (la victoire du 8 mai 1945, le Débarquement du 6 juin, la Libération, l’Appel du 18 juin, la rafle du Vel' d’hiv', les "panthéonisations", etc.) Pour nos présidents, il s’agit évidemment d’incarner la République toute entière qui rend hommage à ses héros et martyrs. En tant que chefs des Armées, ils célèbrent aussi la paix et se placent en gardien suprême de celle-ci. La commémoration sert donc à affirmer le pouvoir symbolique de la République et de son Président.

Charles de GAULLE

Le président de Gaulle et la "panthéonisation" de Jean Moulin (extrait)

Le 19 décembre 1964 se tient la cérémonie du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon et elle est retransmise en direct à la télévision. Le soir, le JT propose un long reportage où une figure s’impose : celle du général de Gaulle.
Date : 19 décembre 1964
Émission : JT 20H - 1ère chaîne de l’ORTF
Journaliste : Francis Mercury
Devenu président de la République, celui qui avait lancé l’Appel du 18 juin s’appuie sur son image de libérateur pour faire accepter sa politique. Néanmoins, la combinaison du désintérêt de la population vis-à-vis de la Seconde Guerre mondiale (la majorité des Français a vécu le conflit et souhaite se tourner vers l’avenir) et de la volonté du général de Gaulle d’initier la réconciliation franco-allemande incite la présidence à préférer d’autres commémorations à celle de la victoire du 8 mai 1945. D’ailleurs, cette date cesse d’être fériée en 1959 au grand dam des anciens combattants. Pour le président, il s’agit aussi d’imposer une certaine lecture de l’histoire, c’est-à-dire favoriser l’idée d’une France combattante pour rendre secondaire celle du régime de Vichy.
C’est dans ce contexte que se déroule la grandiose cérémonie du transfert au Panthéon des cendres de Jean Moulin, le gaulliste-martyr qui a été choisi pour incarner l’ensemble de la Résistance nationale. L’ORTF - qui assure sa mission mémorielle - retransmet en direct la célébration. Le soir, le journal télévisé propose à son tour un reportage où le fameux discours de Malraux est rediffusé en intégralité. Pendant celui-ci, le réalisateur (Gilbert Larriaga) procède à de nombreux plans de coupe sur le véritable héros du jour : le général de Gaulle.

Georges POMPIDOU

Le président Pompidou n’a pas eu un rôle actif pendant la 2sd Guerre mondiale et ne profite donc pas de la même légitimité que son illustre prédécesseur. Pourtant, c’est dans ses pas qu’il inscrit sa trace, se fondant dans l’ombre pesante du Général. Sous sa présidence, une nouvelle cérémonie prend place le 18 juin : celle du "pèlerinage" à Colombey-les-Deux-Églises (depuis 1945, l’Appel est déjà célébré chaque année au mont Valérien). C’est en effet le 18 juin 1972 que le président Pompidou inaugure l’immense croix de Lorraine de ce petit village de la Haute-Marne où repose le Général. Il achève son discours télévisé par cette phrase : "Pour nous qui portons devant l’histoire le terrible poids d’être ceux qui, après Charles de Gaulle, ont assumé la responsabilité du pays, nous faisons, devant cette croix de Lorraine et sur votre tombeau, serment d’être fidèles à la leçon que nous avons reçue de vous : tout pour que vive la France !"

Valéry GISCARD D’ESTAING

Si le général de Gaulle avait ôté au 8 mai son caractère férié, le président Giscard d’Estaing va carrément supprimer la date du calendrier commémoratif en 1976. Geste symbolique visant à "effacer les guerres" et favoriser la réconciliation franco-allemande, cette décision scandalise les anciens combattants dont fait pourtant partie le président. De plus, elle intervient alors qu’un tournant mémoriel décisif vient d’être pris par la communauté intellectuelle. En effet, depuis la publication de La France de Vichy de Robert Paxton et la sortie du film Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls, on ne minimise plus le rôle de l’État de Vichy dans les crimes commis durant la guerre. Ainsi, 3 jours avant sa défaite électorale du 10 mai 1981, c’est face aux téléspectateurs de TF1 qu’il reconnaît avoir fait une "erreur psychologique" en supprimant la commémoration. Voulant incarner la République jusqu’au bout, il se rend le lendemain sous l’Arc de Triomphe déposer une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu. Le même jour, son adversaire le candidat Mitterrand commémore lui aussi le 8 mai 1945 devant les caméras de télévision, dans la crypte du Mémorial de la Déportation.

François MITTERRAND

Dès 1981, le président Mitterrand rétablit durablement la commémoration du 8 mai 1945 et lui restitue son caractère de jour férié. L’année suivante, une grande journée commémorative est organisée et retransmise à la télévision (longue cérémonie à l’Arc de Triomphe avec la décoration d’une Résistante déportée, remontée des Champs-Élysées par des athlètes chargés de rallumer la flamme, concert et un feu d’artifice place de la Concorde). C’est aussi durant sa présidence que le retentissant procès de Maurice Papon se tient et participe à l’évolution de la mémoire collective. En 1992, François Mitterrand est le premier président à assister à la cérémonie en l’honneur des victimes de la rafle du Vel' d’Hiv, mais l’impact de cette participation est contesté, car le président y a été sifflé pour son refus de reconnaître officiellement la responsabilité de l’État français dans les crimes commis pendant la guerre.

Jacques CHIRAC

Le président Chirac à la cérémonie en l’honneur des victimes de la rafle du Vel’ d’hiv'

Le 16 juillet 1995, le président Chirac reconnaît la responsabilité de l’État français dans les crimes commis pendant l’Occupation. Cet événement mémoriel de taille est retransmis en direct pour être ensuite largement repris par l’ensemble de la presse télévisuelle.
Date : 8 janvier 1996
Émission ;: JT de la nuit - France 2
Journaliste : Nathalie Saint-Cricq
En 1995, le cinquantenaire du 8 mai tombe le lendemain de l’élection du président Chirac, lequel n’est évidemment pas encore officiellement investi. Cela provoque une situation originale : François Mitterrand convie le "maire de Paris" à assister, à sa droite, au défilé militaire commémoratif de la victoire de 1945, mais non à rallumer la flamme du Soldat inconnu avec lui (Jacques Chirac rallumera la flamme lui-même une dizaine de jours plus tard, lors de son investiture officielle).
C’est aussi en 1995 que le président Chirac prend une décision mémorielle retentissante : 60 ans après la fin de la guerre, il reconnaît solennellement la responsabilité de l’État français dans les crimes commis pendant l’Occupation. Le 16 juillet, cet événement est retransmis en direct du Vel' d’hiv' - où la cérémonie en l’honneur des victimes de la rafle se tient ; il est ensuite largement repris par l’ensemble de la presse télévisuelle.

Nicolas SARKOZY

Les présidents Sarkozy et Hollande participent ensemble aux célébrations du 8 mai 1945

Le 8 mai 2012, le président sortant et son successeur, élu 2 jours avant, participent ensemble aux cérémonies commémoratives de la victoire de 1945, un acte donnant lieu à une image républicaine exceptionnelle.
Date : 8 mai 2012
Émission ;: JT 20H - France 2
Journaliste : Franck Genauzeau
Premier président de la Ve République à n’avoir pas connu la Seconde Guerre mondiale (il est né en 1955), c’est parfois avec maladresse que Nicolas Sarkozy emploie l’outil mémoriel. Tout d’abord, il ne se rend pas à la cérémonie de 8 mai 2007 alors qu’il vient d’être élu 2 jours plus tôt et qu’il y est convié par Jacques Chirac. Toujours en 2007, il propose de faire lire par les enseignants des lycées la lettre de Guy Môquet, ce qui provoque un tollé. L’année suivante encore, il a cette malencontreuse idée où on confierait à tous les enfants de CM2 la mémoire d’un enfant juif déporté.
Lorsqu’il est battu à l’élection du 6 mai 2012, son dernier geste mémoriel, 2 jours plus tard, n’est cette fois pas dénué d’une certaine élégance : il convie en effet son vainqueur - devant les objectifs des caméras - à venir rallumer avec lui la flamme qui brûle devant la tombe du Soldat inconnu. Cela donne lieu à une image républicaine inédite, au grand bonheur des journalistes, tandis que les journaux télévisés couvrent alors l’événement bien plus longuement que s’il s’agissait d’un traditionnel 8 mai.

François HOLLANDE

Derrière le décor : le président Hollande à l’île de Sein

La commémoration de la Libération par François Hollande à l’île de Sein donne lieu à une image surréaliste d’un président balayé par les éléments, ce qui ne manque pas de faire réagir son conseiller Gaspard Gantzer.
Date : 25 juin 2012
Extraits du film "Un temps de président" d’Yves Jeuland (2015)
La commémoration du 70e anniversaire de la Libération se déroule à Sein le 25 juin 2014. Lieu particulier, cette île a vu une grande partie de sa population masculine refuser l’Armistice de 1940 et rallier l’Angleterre ; elle a ainsi été élevée au rang de Compagnon de la Libération par le général de Gaulle. "Le message de l’île de Sein, c’est qu’il n’y a pas de péril, pas de difficulté que nous (ne) puissions surmonter" déclare alors le président Hollande ruisselant sous le déluge, comme s’il imageait concrètement ses propos. Car le chef de l’État a encore une fois refusé le parapluie qu’on lui proposait. Une décision qui agace rétrospectivement son jeune conseiller politique Gaspard Gantzer.
Au cours de son mandat, les commémorations fournissent souvent au président Hollande l’occasion de prononcer de grands discours (c’est le cas le 27 mai 2015, lorsqu’il inscrit ses pas dans ceux de ses prédécesseurs de Gaulle, Mitterrand et Chirac en "panthéonisant" 4 héros de la France, une cérémonie évidemment retransmise en direct à la télévision et sur le Web).

Depuis le général de Gaulle, les grandes célébrations historiques sont systématiquement retransmises en intégralité à la télévision. Très étudiée, la réalisation de ces émissions se fait toujours en collaboration avec les services de l’Élysée. Car la commémoration est un exercice aux enjeux politiques importants et qui permet au président de la République de se hisser au niveau de l’histoire.