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Les vœux pour la nouvelle année

Depuis 55 ans, chaque année sans exception, le président de la République adresse aux Français par le biais de la télévision ses vœux de Nouvel An. Au cours de cette allocution rituelle diffusée le 31 décembre, le chef de l’État fait le bilan des 12 mois écoulés et décrit les perspectives - toujours positives ! - qui s’offrent au pays. C’est de l’Élysée, le plus souvent assis à un bureau, qu’il enjoint les Français, "les yeux dans les yeux", à se rassembler derrière son action. C’est aussi un outil politique pour tenter de convaincre les électeurs quant à un prochain vote, ou encore pour égratigner quelques opposants, par exemple en période de cohabitation.

Depuis ses débuts, cette tradition des vœux pour la nouvelle année a peu évolué, même si certains présidents tentent quelques innovations de forme. Parfois, une sincérité surprenante peut surgir, notamment dans des situations exceptionnelles. Mais à partir du premier choc pétrolier du début des années 1970, un leitmotiv revient sans répit : l’année suivante sera celle de la sortie de crise, on peut en être certain.

Charles de GAULLE

Le 1er janvier 1960, le président de Gaulle adresse ses vœux aux Français pour la première fois, mais il s’agit encore d’un message écrit imprimé dans les journaux ou lu à l’antenne. Ce n’est que le 31 décembre suivant qu’il introduit l’innovation des vœux audiovisuels. Sa première allocution (pour l’année 1961) est très politique : le Général y lance un appel à un "oui franc et massif" à l’autodétermination de l’Algérie qui doit être votée par référendum la semaine suivante. Ce n’est que lorsque le conflit algérien s’achève que les vœux deviennent l’occasion de célébrer les grandes réussites économiques et diplomatiques de la France des Trente Glorieuses.

Georges POMPIDOU

Vœux radiotélévisés du président Pompidou pour 1974 (extrait)

Ce 31 janvier 1973, le président Pompidou, très malade, adresse aux Français ses vœux dans un contexte de crise économique sans précédent. Après les avoir rassurés sur le maintien de leur niveau de vie, il évoque à demi-mot les rumeurs sur sa maladie et adresse ses ultimes vœux avec une singulière sincérité.
Date : 31 décembre 1973
Les vœux les plus marquants du président Pompidou sont certainement ceux du 31 décembre 1973, prononcés dans un contexte profond de crise. Crise économique tout d’abord : depuis l’embargo des pays de l’OPEP (qui détiennent le pétrole), le prix du baril explose et avec, celui des biens de consommation. Crise politique ensuite : le président, qui se sait atteint d’un cancer rare, est très affaibli et son état nécessite une assistance médicale permanente. Si les Français constatent effectivement, à la télévision, les traits changés du président malade, on ne communique pourtant pas sur son état de santé, laissant la rumeur faire son œuvre. Le jour où il enregistre ses vœux, il sait qu’il pourrait être forcé de donner sa démission dans les 12 mois qui s’annoncent, mais il ignore encore que son état va dramatiquement s’aggraver, jusqu’à sa brutale disparition le 2 avril 1974.

Valéry GISCARD D’ESTAING

Vœux radiotélévisés du président Giscard d’Estaing pour 1976 (extrait)

Après avoir souhaité une bonne année 1976 aux Français, le président Giscard d’Estaing laisse la parole à son épouse, visiblement mal à l’aise et n’arrivant pas à fixer la caméra.
Date : 31 décembre 1975
Le président Giscard d’Estaing est celui qui tente le plus de marquer ces vœux de fin d’année d’une certaine originalité. Pour sa première prestation, c’est assis dans un fauteuil, près d’un feu de cheminée qui crépite, qu’il s’adresse aux Français : "Adieu donc 1974, et salut à toi, 1975. Je souhaite que tu sois une année accueillante pour les Français" concluait-il alors. Pour sa deuxième allocution, il a gardé la cheminée et le fauteuil, et son épouse a été conviée à exprimer ses souhaits pour l’an 1976. C’est la seule fois de toute la Ve République qu’une première dame prend ainsi la parole aussi officiellement. Le président Giscard d’Estaing revient ensuite à un style plus conventionnel (seul, assis à son bureau).

François MITTERRAND

Vœux radiotélévisés du président Mitterrand pour 1995 (extrait)

Le 31 décembre 1994, le président Mitterrand adresse ses vœux aux Français pour la dernière fois. Se sachant mourant, son allocution prend la forme d’un émouvant adieu.
Date : 31 décembre 1994
Les vœux présidentiels de François Mitterrand ne dérogent pas au dispositif créé par le général de Gaulle (assis à un bureau, dressant un bilan et prédisant l’avenir), sauf peut-être en 1988, après sa réélection, quand il enregistre l’allocution rituelle à Strasbourg et que le drapeau européen fait sa grande apparition, marquant ainsi l’attachement du chef de l’État à la construction européenne.
Un septennat plus tard, et à quelques mois de l’élection présidentielle, toute la France sait désormais que le président est malade d’un cancer (il ne peut plus le cacher depuis 1992, lorsqu’il s’est fait opérer). François Mitterrand est alors visiblement exténué, et on redoute désormais sa disparition. Ces derniers vœux pour l’année 1995 sont ceux d’un homme qui se sait mourant et qui emprunte alors au registre du mystique. Et comme rarement auparavant, le président se montre chaleureux envers ces Français qu’il a gouvernés pendant les 14 dernières années. Jamais le ton employé par François Mitterrand n’aura été aussi personnel que ce 31 décembre 1994.

Jacques CHIRAC

Vœux radiotélévisés du président Chirac pour 1998 (extrait)

Ce 31 décembre 1997, le président Chirac présente ses vœux pour la première fois depuis la cohabitation qui a débuté en juin. Il réaffirme son rôle vis-à-vis du Premier ministre issu de l’opposition.
Date : 31 décembre 1997
Si les deux premières allocutions du président Chirac respectent à la lettre le décor traditionnel, il change ensuite le dispositif et c’est debout, avec en arrière-plan les jardins de l’Élysée, qu’il présente ses vœux les dix années suivantes. Comme son prédécesseur, il en profite pour y faire des annonces inédites sur ses choix politiques, mais il l’emploie également comme d’une arme télévisuelle au moment de la cohabitation de 1997.
En effet, le 31 décembre 1997 marque le terme d’une année riche en rebondissements : en avril, le président Chirac avait annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, et par conséquent, la tenue d’élections législatives en juin. Échec total : le président de la République doit alors confier le poste de Premier ministre à son opposant Lionel Jospin. Jacques Chirac - qui n’a donc plus l’occasion de s’exprimer sur tous les sujets comme avant - profite de ces vœux présidentiels pour réaffirmer sa position de chef de l’État.

Nicolas SARKOZY

Nicolas Sarkozy n’apprécie guère l’exercice de l’allocution télévisée et hormis les 5 vœux obligatoires, il ne fait que 3 adresses directes à la Nation tout au long de son mandat ! Pour porter ses souhaits à la France, il cherche le bon dispositif, mais ne semble pas le trouver : il s’essaie la première année au cadre traditionnel (assis à son bureau), il tente ensuite le pupitre dans la bibliothèque (vœux pour 2009), puis en 2010, ce sera un décor saturé de bleu et de rouge et d’images de synthèse reproduisant le palais de l’Élysée. Pour ses derniers vœux, il utilise le "décor Chirac", c’est-à-dire avec les jardins de l’Élysée en arrière-plan. Finalement, seule la présence des drapeaux français et européens semble être la constante d’un décor dont les changements constants trahissent la peine du chef de l’État à se trouver à l’aise avec cet exercice médiatique particulier.

François HOLLANDE

Derrière le décor : les vœux du président Hollande pour 2015

En 2014 et 2015, le documentariste Yves Jeuland filmait le président de la République pour son film "Un temps de président". Une séquence nous dévoile l’envers du décor des vœux télévisés.
Date : 31 décembre 2014
Extraits du film "Un temps de président" d’Yves Jeuland (2015)
L’actuel président semble lui aussi chercher le dispositif adéquat à ces prestations annuelles. En 2012, il reprend le "décor Chirac", puis en 2013, l’incrustation d’une image de l’Élysée. Pour les vœux de la nouvelle année 2015, François Hollande revient au bureau présidentiel - le même qu’utilisait le général de Gaulle ou François Mitterrand - s’inscrivant ainsi dans l’héritage de prédécesseurs jouissant de cette image d’autorité qui manque parfois à ce président.

Exercice convenu, mais obligatoire, où les accents de sincérité semblent rares, les vœux télévisés présidentiels sont durablement enracinés dans nos rituels politico-audiovisuels. Ces vœux du chef à la Nation sont surtout une occasion de délivrer un message politique. Enregistrés quelques heures avant leur diffusion, le plus souvent en plusieurs prises, ils sont diffusés le 31 décembre. Mais les propos sont ensuite bien vite décortiqués par la presse, puis commentés par la majorité et l’opposition, tandis que les journaux télévisés n’en diffusent qu’un ou deux passages, de plus en plus courts au fur et à mesure du temps, hachant l’allocution en fonction de l’angle sélectionné, jusqu’à faire oublier parfois ces promesses de jours meilleurs que le président s’était appliqué à formuler.