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Visite du chef d'état étranger

La visite d’État - qu’il ne faut pas confondre avec la visite officielle (moins fastueuse) ou encore la visite privée - consiste, pour le président de la République, à recevoir la plus haute personnalité politique d’un pays étranger. Elle répond à un protocole très strict, presque immuable, qui se compose au minimum de cérémonies d’accueil et d’adieu à l’aéroport, du trajet en hélicoptère jusqu’à l’esplanade des Invalides, de l’hébergement à l’hôtel de Marigny, d’un entretien officiel avec le président, d’une arrivée à l’Élysée où une compagnie d’honneur de la Garde républicaine présente les armes et où est joué l’hymne du pays hôte, d’un somptueux dîner d’État au palais et enfin, d’une réception à l’hôtel de ville de Paris.

Les fastes de la République ainsi déployés sous les yeux des journalistes participent aux bonnes relations de la France avec les pays étrangers reçus. C’est un outil diplomatique essentiel destiné à asseoir la politique internationale poursuivie par le chef de l’État.

Charles de GAULLE

Après l’indépendance des pays d’Afrique noire, le président de Gaulle invite chacun des présidents africains à réaliser une visite officielle ou d’État, marquant à la fois le soutien de la France aux jeunes républiques et son influence africaine. On ordonne à la télévision de rendre pleinement compte de ces voyages. C’est le cas en juin 1961 lorsque le gouvernement écrit à la RTF sur "l’importance politique que revêt le déplacement du président Houphouët-Boigny à Paris et sur la nécessité où nous nous trouvons de lui donner une très large répercussion". Fort compréhensif, le directeur de la télévision répond "prévoir des reportages de façon à donner à ce déplacement tout l’éclat qu’il mérite". Et c’est ainsi que les 3 jours du voyage du président ivoirien en France furent traités dans de longs reportages (5 à 8 minutes) placés à la une de toutes les éditions du journal télévisé.
La politique d’indépendance de la France vis-à-vis d’un monde bipolaire dominé par la guerre froide se décèle aussi à travers ce protocole diplomatique. Par exemple, pour souligner sa volonté d’inscrire le pays comme une troisième voie possible, le président de Gaulle accueille le Soviétique Khrouchtchev (en mars 1960) avec le même faste que celui réservé aux Américains Eisenhower en 1959 et Kennedy en 1961. Et évidemment, chaque étape de la grandiose visite se déroule sous les objectifs des médias internationaux

Georges POMPIDOU

Le président Pompidou reçoit le chef de l’État libyen Kadhafi

En novembre 1973, le JT diffuse un reportage sur la visite privée du chef de l’État libyen à l’Élysée, devant lequel des opposants s’étaient réunis pour protester contre la vente d’armes françaises à ce pays.
Date : 24 novembre 1973
Émission : JT 20H - 1ère chaîne de l’ORTF
Journaliste : Jean-François Delassus
Si le président Pompidou poursuit la politique internationale de son prédécesseur, le monde a bien changé depuis l’époque du Général. Lorsqu’il est reçu en France en novembre 1973, le jeune colonel Kadhafi est au pouvoir depuis son coup d’État de 1969. Il entretient alors d’assez bons rapports avec la France auprès de laquelle il s’équipe d’avions militaires (les Dassault Mirage 5). Or, un mois avant cette visite, la guerre du Kippour - opposant Israël et une coalition menée par l’Égypte et la Syrie - éclate. Et on soupçonne Kadhafi de livrer aux Égyptiens les forces aériennes achetées à la France pour attaquer des positions israéliennes. C’est dans ce contexte que se passe le premier voyage du chef d’État libyen en Europe. Mais il s’agit d’une visite privée et la différence est grande avec celle d’État.
En effet, pour une visite privée, rien n’est convenu, sauf des dispositions pour assurer la sécurité de l’hôte. Chaque président de la République peut organiser à sa convenance un dîner privé au palais ou un rendez-vous officiel, selon le degré d’amitié qu’il souhaite témoigner à son hôte. Et lorsque le chef d’État étranger est convié au palais de l’Élysée, la Garde républicaine lui rend les honneurs à son arrivée et son départ.

Valéry GISCARD D’ESTAING

Le président Giscard reçoit le président syrien el-Assad

Malgré la visite controversée du président el-Assad en juin 1976, le protocole est respecté, tel le dîner organisé à l’hôtel de Marigny, donné "en retour" du banquet de l’Élysée (une tradition abandonnée depuis), et où les caméras du JT sont présentes. Le lendemain, le président syrien rend sa dernière visite au président Giscard.
Date : 18 et 19 juin 1976
Émission : JT 20H - TF1
Journaliste : Régis Faucon
S’il est un rituel de la République que le président Giscard d’Estaing ne peut moderniser, c’est bien l’inébranlable protocole lié à la visite d’État. De plus, étant organisée des mois à l’avance, il est très rare qu’elle soit annulée, même lorsque le moment semble tout à coup "mal choisi". C’est le cas en juin 1976, lors de la visite officielle du président syrien Hafez el-Assad.
La situation au Proche-Orient est alors explosive : depuis 1975, la guerre du Liban - pays déchiré par les rivalités entre chrétiens et musulmans et déstabilisé par les Palestiniens récemment implantés - a débuté. C’est un conflit régional où s’opposent l’Égypte - soutenue par les USA - et la Syrie (pro-URSS) qui intervient militairement au Liban à partir du printemps 1976 sans l’accord des autres pays arabes. Et une dizaine de jours avant le voyage en France, les relations se durcissent encore après l’attaque de l’ambassade égyptienne à Damas. Le président Giscard d’Estaing, qui entretient de bonnes relations (commerciales) avec l’égyptien Sadate, et qui avait dans un premier temps approuvé l’intervention syrienne au Liban, se trouve ainsi confronté à une situation diplomatiquement délicate. Toutes les étapes du protocole sont pourtant respectées, ce dont rendent évidemment compte les diverses éditions du journal télévisé.

François MITTERRAND

Au début de son second mandat, le président Mitterrand lance la réforme du décret relatif "aux cérémonies publiques, aux préséances, aux honneurs civils et militaires" dont le texte de base date de 1907 et du président Armand Fallières. Le protocole est modernisé et légèrement allégé, mais cela change peu de choses pour les visites des chefs étrangers. Et à la déception de ses ministres, il maintient les cérémonials d’arrivée et de départ à l’aéroport qui imposent leur présence lors d’une visite officielle (lors d’une visite d’État, c’est le président qui s’en charge).
La visite d’État du dirigeant soviétique Gorbatchev en juillet 1989 est notable, car elle permet à la diplomatie du président Mitterrand de se retrouver à nouveau au cœur des relations Est/Ouest. Le moment est alors décisif : le régime soviétique a entamé une phase de libéralisation qui gagne les pays sous sa domination, et notamment la RDA qui souhaite la réunification avec la RFA. Quant au président Mitterrand, il multiplie les déclarations où il affirme "légitime" la volonté du peuple allemand de se retrouver. C’est dans ce contexte que la visite de Mikhaïl Gorbatchev se déroule. Elle est très largement couverte par les chaînes de télévision et le 6 juillet 1989, les deux chefs d’État offrent même au journal télévisé d’Antenne 2 une interview exclusive enregistrée dans la bibliothèque de l’Élysée. Quelques mois plus tard, le 9 novembre 1989, le mur de Berlin s’écroulera sans que le pouvoir soviétique intervienne.

Jacques CHIRAC

Le président Chirac allège le dispositif des voyages en France de hautes personnalités étrangères en limitant certains usages gênants pour la circulation parisienne et en rendant facultatif le dépôt d’une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu (de mise lors des visites d’État depuis le général de Gaulle). La visite d’État la plus mémorable est sans doute celle du président Mandela en 1996. Le libérateur légendaire d’Afrique du Sud, prisonnier pendant plus de 30 ans, réalise alors un tour d’Europe à la recherche d’aide économique pour redresser son pays. En France, il est invité à commémorer les célébrations du 14 juillet aux côtés du président de la République.

Nicolas SARKOZY

Le président Sarkozy reçoit le président libyen Kadhafi

Le 10 décembre 2007, la France reçoit pour la seconde fois Mouammar Kadhafi pour une visite très controversée. Le chef de l’État libyen a obtenu du président Sarkozy de pouvoir planter sa tente dans les jardins de l’hôtel de Marigny.
Date : 10 décembre 2007
Émission : JT 20H - France 2
Journaliste : Samah Soula
Depuis sa visite privée au président Pompidou 34 ans plus tôt, Mouammar Kadhafi a enrichi son CV dans les années 1980 d’une mention "terrorisme d’État", une politique qui lui vaut d’être isolé sur le plan international. Mais le leader libyen opère, au début des années 2000, un changement radical de diplomatie et parvient même à se positionner en allié de l’Occident dans sa "guerre contre le terrorisme". La libération, à l’été 2007, des infirmières bulgares incarcérées en Libye avait ouvert la voie à une normalisation de ses rapports avec la France. C’est dans ces circonstances que la visite officielle et controversée se déroule en décembre 2007. Si elle n’est pas d’État, les égards de la République ne manquent pourtant pas (le président Sarkozy le rencontre deux fois, dîne avec lui et l’autorise à planter sa tente dans les jardins de l’hôtel Marigny), des images évidemment retransmises par la télévision.

François HOLLANDE

Derrière le décor : le président Hollande reçoit une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement

Le jour du grand rassemblement mondial contre le terrorisme à Paris, de nombreux chefs d’État et de gouvernement sont accueillis à l’Élysée par le président Hollande, une scène filmée par Yves Jeuland pour "Un temps de président".
Date : 11 janvier 2015
Extraits du film "Un temps de président" d’Yves Jeuland (2015)
Ce sont des circonstances dramatiques qui ont valu au président Hollande de recevoir à l’Élysée un impressionnant cortège de sommités internationales composé d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement (Angela Merkel, David Cameron en passant par Benyamin Netanyahou ou Mahmoud Abbas). Du jamais vu au palais. Venus à Paris défiler pour montrer leur soutien à la France après les attentats de janvier 2015, tous sont préalablement accueillis par le président Hollande sur le perron de la cour d’honneur de l’Élysée.

Si les visites officielles ou privées se succèdent à bon rythme, les visites d’État - au sommet de l’art protocolaire et de celui de la mise en scène du pouvoir - restent relativement rares. Elles jouissent ainsi d’un caractère éminemment symbolique que les présidents de la République mettent au service de leur politique diplomatique et économique.