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Le salon de l'agriculture

Pour les hommes politiques, le Salon de l’agriculture, qui célèbre les richesses du territoire, est l’occasion de rencontrer les acteurs de la France rurale venus présenter leurs plus belles productions à Paris. Parmi nos 7 présidents, tous ont régulièrement honoré l’événement de leur présence, à l’exception notable de François Mitterrand.

Ainsi, parmi les veaux, les vaches et les cochons et entre dégustations et poignées de main, le président de la République affiche, sous les objectifs des caméras, son intérêt vis-à-vis de l’avenir de l’agriculture française et de ses représentants. Cet exercice médiatique audiovisuel est loin d’être récent et date de la IIIe République (dès 1925, le président Gaston Doumergue se faisait filmer déambulant au Concours général agricole pour une séquence diffusée ensuite aux actualités cinématographiques Gaumont).

Charles de GAULLE

Le président de Gaulle au Salon de l’agriculture 1968i

En mars 1968, le général de Gaulle inaugure les Salons de la machine agricole et de l’agriculture. Cette visite fait l’objet d’un reportage au cours du JT de 20h de la 2e chaîne de l’ORTF, la seule qui soit alors en couleur.
Date : 7 mars 1968
Émission : JT 20H - 2e chaîne de l’ORTF
Journaliste : Bernard Griveau
C’est en 1964, et sous l’impulsion du ministre de l’Agriculture Edgard Pisani, que le Salon de l’agriculture est créé aux côtés de son jumeau, le Salon de la machine agricole (dont le général de Gaulle avait inauguré la 32e édition en 1961 sous les objectifs des caméras de télévision). La France est alors en pleine expansion, l’agriculture connaît une modernisation rapide et une production croissante. C’est aussi à cette époque que la CEE assure progressivement un "prix de soutien" aux produits des agriculteurs dans le cadre de la nouvelle PAC.
Le succès du nouveau salon est immédiat ; le président de la République y est ainsi convié l’année suivante, en 1965. Pour les besoins du journal télévisé, le général de Gaulle se laisse filmer déambulant dans les allées, saluant les agriculteurs, buvant quelques gorgées d’alcool ou engloutissant des spécialités des terroirs. Mais aucune image du président en train de flatter la croupe de telle ou telle bête n’existe dans les archives. Le président y retourne une seconde fois, en mars 1968, et la visite est relatée le soir, au cours du journal télévisé de la 2e chaîne de l’ORTF.

Georges POMPIDOU

Le président Pompidou poursuit la tradition initiée par le général de Gaulle et se rend au Salon de l’agriculture en 1970 et 1972, des visites évidemment couvertes par les journalistes de la télévision d’État. Pour l’agriculture française, la période est encore faste, mais la crise pétrolière de 1973 va alors modifier la donne, notamment pour le président suivant.

Valéry GISCARD D’ESTAING

Le président Giscard d’Estaing au Salon de l’agriculture 1977

Le 8 mars 1977 (à 6 jours du 1er tour des élections municipales), le 13e Salon de l’agriculture est inauguré par le président de la République. Le JT diffuse un reportage sur cette visite détendue et dans lequel le chef de l’État évoque difficultés du monde agricole.
Date : 8 mars 1977
Émission : JT de 20H - Antenne 2
Journaliste : Jean-Louis Calmejane
Après la crise pétrolière, qui cause une hausse générale des prix, le président Giscard avance une solution pour s’en sortir : s’appuyer sur le "pétrole vert" de la France, c’est-à-dire sur son agriculture. Mais celle-ci est menacée de surproduction et les "prix garantis" par la CEE entraînent une hausse importante des budgets européens. De plus, l’année 1976 est marquée par une sévère sécheresse qui handicape sérieusement la production agricole française. C’est dans ce contexte devenu problématique que se déroulent les trois visites du président Giscard d’Estaing en 1975, 1977 et 1978.

François MITTERRAND

Si le candidat Mitterrand avait labouré les allées du Salon en mars 1981 pour récolter quelques voix, il ne se pliera jamais à cet exercice médiatique en 14 ans de présidence. Sa première visite aurait dû se faire en mars 1982, mais la violence misogyne avec laquelle certains responsables agricoles traitent alors Édith Cresson, son ministre de l’Agriculture, le dissuade de s’y rendre, ne voulant pas exposer encore plus son ministre (elle avait été brutalement prise à partie un mois auparavant, lors d’une visite d’exploitation). L’année suivante, alors que Michel Rocard a remplacé Édith Cresson, c’est la politique présidentielle qui rencontre une forte opposition. En effet, François Mitterrand soutient fermement l’ouverture de la CEE à des pays agricoles comme l’Espagne et le Portugal, ce qui suscite la colère de certains agriculteurs et pêcheurs. Au début de l’année 1983, l’un de ses conseillers l’interroge alors sur sa venue au Salon de l’agriculture ; le président rétorque à Henri Nallet : "Laissons ça à Chirac !", puis ajoute "Rocard s’en sortira très bien seul". On ne l’interrogera alors plus sur le sujet, l’affaire étant désormais définitivement entendue. Et c’est ainsi que François Mitterrand a délibérément laissé le terrain libre à son successeur, et ce dernier allait joyeusement en profiter.

Jacques CHIRAC

Le président Chirac au Salon de l’agriculture 1996

Ce reportage de février 1996 évoque la sympathique première visite du président Chirac au Salon de l’agriculture. La veille, il avait annoncé la suppression du service militaire obligatoire, une mesure très populaire chez les jeunes gens.
Date : 22 février 1996
Émission : JT de 20H - Antenne 2
Journaliste : Nathalie Saint-Cricq
Si on garde en mémoire l’image d’un président Chirac avide de cet événement annuel, passionné sincère de l’exercice, il ne faut pas oublier qu’il a d’abord été, en 1962, le plus jeune décoré de la médaille du Mérite agricole (d’ailleurs remise par Edgard Pisani). C’est ensuite avec Pompidou qu’il arpente dès 1970 les allées du Salon, une habitude qu’il prendra définitivement lorsqu’il sera son ministre de l’Agriculture de 1973 à 1974. Et c’est en qualité de maire de Paris qu’il y retourne à partir 1977. C’est donc en terrain connu que le président Chirac réalise, presque chaque année de 1995 à 2007, de véritables marathons où il forge puissamment son image d’un homme chaleureux et proche du monde agricole.

Nicolas SARKOZY

Le président Sarkozy au Salon de l’agriculture 2008

La 1ère visite du président Sarkozy au Salon de l’agriculture en 2008 fait l’objet du sacro-saint reportage diffusé dans le JT du soir. Mais le lendemain, 23 février 2008, une vidéo de l’altercation entre le président et un visiteur fait le tour des médias. Le JT complète alors son édition par un second reportage où la parole est laissée à un membre de l’opposition, un certain François Hollande.
Date : 22 & 23 février 2008
Émission : JT 20H - France 2
Journalistes : Laurence Decherf & Alexandre Kara
Depuis les années 1960, la part de l’agriculture dans l’économie nationale a fortement diminué, tandis que la dégradation des prix a provoqué une baisse des revenus agricoles, jusqu’à mener à la situation de crise que nous connaissons aujourd’hui. Une visite présidentielle dans ce contexte explosif rend sans doute l’exercice plus délicat qu’au temps des Trente Glorieuses. D’autant qu’en ces années 2000, les politiques n’ont pas encore bien assimilé une règle fondamentale : grâce aux nouvelles technologies, tout acte peut être filmé et diffusé dans l’instant. Une leçon que le président Sarkozy va apprendre à ses dépens en 2008, au cours de sa toute première visite.
Ce Salon 2008 fut l’un des pires désastres médiatiques présidentiels de toute la Ve République. La séquence se déroule en deux temps : le soir même de la visite officielle, le traditionnel reportage du président chaleureux et accessible est diffusé à la télévision. Pourtant, dans la nuit, une vidéo postée sur Internet change la donne. Le président sympathique laisse alors la place au président injurieux. Si Nicolas Sarkozy n’est certainement pas le premier politique à se comporter ainsi (et peut-être même pas le premier président de la République), l’accrochage a été filmé et fait vite le tour des médias. Ainsi, dès le lendemain, le journal télévisé consacre un second reportage à cet événement médiatique sans précédent. Les dégâts politiques sont réels. Nicolas Sarkozy aura ensuite bien du mal à se départir de cette image d’un président injurieux.

François HOLLANDE

Contrairement à son prédécesseur socialiste, François Hollande inaugure régulièrement le Salon de l’agriculture. Par exemple, en février 2014, à un mois des élections cantonales, et alors que sa cote de popularité est au plus bas, il le visite longuement (entre 8 et 10 heures selon différents observateurs !) Ce qui permet ensuite aux journalistes de commenter la similarité avec Jacques Chirac, le président bien-aimé des agriculteurs. François Hollande lui-même revendiquerait presque cette proximité avec l’ancien président, tant l’image d’un chef de l’État proche des agriculteurs reste valorisante. Pourtant, lui aussi est surpris à se laisser aux déclarations d’un goût douteux pour un président en exercice en répondant à une fillette, qui lui parlait de Nicolas Sarkozy, qu’elle ne "verrait plus".

Le Salon de l’agriculture permet aux présidents d’afficher leur attachement à la ruralité et leur proximité avec les professionnels et les visiteurs, une image qui est ensuite retransmise par la télévision. Rendez-vous quasi incontournable pour le chef de l’État, cela est également vrai pour l’ensemble des politiques. C’est pourtant un exercice sous-estimé et qui peut être périlleux tant le nombre de caméras est important. Pour cette figure imposée de la communication présidentielle, il s’agit aujourd’hui d’éviter tout écart de langage ou de comportement.